LES FEUX TACTIQUES

Référence des textes sur la prévention

LES FEUX TACTIQUES

Nouveau messagede Fireserge33 » 26 Mar 2013, 23:23

Alors que les conditions de lutte contre les incendies de forêts évoluent et se modernisent grâce aux progrès qu’ont fait les hommes, les matériels et les organisations, certaines méthodes de lutte anciennes qui utilisent le feu contre le feu perdurent au fil des années, méthodes aujourd’hui appelées «feux tactiques».
C’est ainsi qu’au cours de l’été 2003 et en ce début d’été 2004, les services de secours ont eu re- cours à plusieurs reprises aux feux tactiques pour faire face aux incendies de forêts de la façade méditerranéenne, notamment dans le Gard, mais aussi en Corse, dans l’Ardèche, les Alpes-Ma- ritimes... Ces méthodes, longtemps pratiquées dans l’ombre, ont trouvé depuis peu, un cadre législatif, avec l’inscription des feux tactiques dans la loi de modernisation de la sécurité civile, votée le 30 juillet 2004 par le Parlement. Ce vote est le résultat de la forte motivation d’utilisa-
teurs de terrain relayée par le travail de plusieurs années d’un groupe de personnels composé d’officiers de sapeurs-pom- piers, de techniciens de l’ONF et du ministère de l’Agricultu- re, du Ceren et du CIFSC. Ainsi les feux tactiques trouvent leur place parmi l’éventail des méthodes de lutte à la disposi- tion des sapeurs-pompiers.

Les feux tactiques
L’usage
En fait, l’usage du feu a toujours existé comme technique d’extinction des in- cendies de forêt. Les sapeurs-pompiers y ont recours, de façon régulière dans plusieurs pays, dont l’Espagne, le Portugal, les États-Unis, l’Australie, mais également en France notamment dans les départements du Sud de la France.
Si la technique est bien affichée à l’étran- ger, elle l’était moins en France. Sa pra- tique a été longtemps cachée et utilisée dans l’ombre tant le sujet était tabou. Et cette technique a souvent été mise en cause pour des raisons, non pas opéra- tionnelles mais essentiellement juri- diques. Il était en effet difficile de savoir si le droit d’allumer un contre-feu exis- tait, selon le texte auquel on faisait réfé- rence (voir encadré juridique). Depuis ces dernières années, la technique des feux tactiques s’est affirmée, et notamment au cours de l’été 2003, où les actions de feux tactiques, menées dans sept départe- ments, ont contribué efficacement à l’ex- tinction de certains incendies de forêts.

La reconnaissance officielle
Aujourd’hui, les méthodes de feux tac- tiques trouvent un cadre juridique dans une loi : En effet des dispositions spécifiques ont été prévues dans la nouvelle loi de modernisation de la sécurité civile n°2004-811 du 13 août 2004.
Dans l’article 26, le paragraphe II men- tionne explicitement :
« Le Commandant des opérations de se- cours peut, même en absence d’autori- sation du propriétaire ou de ses ayants droits, pour les nécessités de la lutte contre l’incendie, recourir à des feux tac- tiques. »


La technique
Pour mieux comprendre, il est nécessaire de définir la terminologie utilisée:

Les feux tactiques :
terme général, qui désigne les deux méthodes d’emploi du feu dans le cadre de la lutte contre les incendies de forêts: le contre-feu et le brûlage tactique.

Le contre-feu :
consiste à allumer un feu à l’avant d’un front de feu au cours d’un incendie, le long d’une zone d’appui, pour supprimer du combustible par le feu. Le contre-feu se développe alors en direction de l’incendie laissant derrière lui une zone brûlée, qui sera contrôlée par des moyens de lutte. À la rencontre du contre-feu et de l’incendie, faute de com- bustible, l’incendie s’éteint.

Le brûlage tactique :
consiste, par un allumage le long d’une zone d’appui, à «ca-
naliser» le flanc d’un incendie pour le réduire, ou bien, à terminer l’extinction d’une lisière qui présente des risques de reprise, ou bien encore, à créer en si- tuation menaçante une zone refuge pour mettre en sécurité du personnel.
Ces méthodes de lutte sont totalement complémentaires les unes des autres et peuvent êtres utiles dans certaines si- tuations opérationnelles.
Elles s’inscrivent pleinement
dans un dispositif opérationnel placé sous l’au- torité du commandant des opérations de secours et ne changent en rien la stratégie de la lutte contre les feux de forêts. L’at- taque directe par les moyens terrestres et aériens doit être privilégiée dans la mesure du possible; les feux tactiques s’inscrivent plutôt dans les méthodes d’attaques indirectes, nécessitant une anticipation suffisante.
Des moyens d’extinction, adaptés au feu tactique allumé, sont alors disposés le long de la zone d’appui pour assurer le contrôle de l’allumage et prévenir les sautes de feu éventuelles.

Références juridiques avant la loi
Le règlement d’instruction de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux, approuvé par l’ar- rêté du 1.02.78, évoquait à l’article 30 « Les Contres- Feux » (chapitre V, 9e partie) comme moyen effi- cace de lutte contre les feux de forêts, et détaillait ses conditions d’emploi.
Un cadre réglementaire existait pour les sapeurs- pompiers. Cette 9e partie du règlement d’extinction et de manœuvre a été abrogée, par l’arrêté du 6.09.01 fixant le guide national de référence relatif aux feux de forêts, à compter du 1.01.02
Le cadre réglementaire a été supprimé à cette date et n’a pas été remplacé. Le code forestier, par son article L322-1, dans sa rédaction issue de la loi d’orientation sur la forêt n°2001-602 du 9.07.01, précise que : « sous ré- serve des dispositions de l’article L321-12, il est défendu à toutes les personnes autres que les pro- priétaires de terrains boisés ou non, ou autres que les ayants droit de ces propriétaires de porter
ou d’allumer du feu sur ces terrains et jusqu’à une distance de 200 m des bois , forêts, plantations, re- boisements, ainsi que des landes, maquis et garrigues soumis aux dispositions de l’article L 322-10 ». Cet article limitait l’emploi du feu aux seuls pro- priétaires ou ayants droits, en dehors des périodes d’interdiction, c’est-à-dire l’été, hormis les cas de travaux de prévention des incendies de forêts effectués par l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements ou leurs mandataires tels que l’office national des forêts et les services d’in- cendie et de secours ainsi que les associations syndicales autorisées qui peuvent comprendre l’emploi du feu, en particulier le brûlage dirigé. Il s’agit de travaux en phase de prévention et non en phase de lutte.
Le code général des collectivités territoriales par son article L 2212-1, charge le maire, sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police municipale. L’ar- ticle L 2212-2, précise au 5e alinéa que celle-ci
comprend notamment « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les ac- cidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pol- lutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations... de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours... »
Le code pénal peut être défavorable à l’auteur d’un contre-feu qui prévoit des poursuites pour incendie volontaire, ou favorable, si l’on fait ré- férence à l’article 122-7, qui exonère de toute res- ponsabilité pénale la personne qui « face à un dan- ger imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauve- garde de la personne ou du bien ».
La réponse du ministre de l’Intérieur N°57646 du 12.02.01, à la question posée par Mr Alary, dépu- té du Gard, confirmait la nécessité de définir plus précisément les conditions d’emploi opération- nel de la technique afin de limiter les éventuelles conséquences dommageables.

La formation
S’agissant de techniques d’extinctions particulières qui peuvent présenter des risques, il est indispensable que les per- sonnels utilisateurs aient suivi une for- mation spécifique que le commandant des opérations de secours devra intégrer. Le contenu et les conditions de mise en œuvre de ces formations sont actuelle- ment à l’étude et seront intégrés au guide de manœuvres feux de forêts qui doit pa- raître prochainement.
En matière de formation, l’expérience acquise au cours des années passées et no- tamment de celle de 2003 a confirmé que les feux tactiques tenaient toujours une place dans les techniques de lutte contre l’incendie de forêts et que leurs mises en oeuvre suivaient généralement une même procédure, que ce soit dans le Gard, l’Ar- dèche, la Corse, les Alpes-Maritimes ou le Var.
La décision était prise par le commandant des opérations de secours, l’allumage sui- vait toujours une zone d’appui et sa réa- lisation était placée sous la responsabi- lité d’un personnel formé en brûlage di- rigé, sapeur-pompier ou forestier, du ni- veau de responsable de chantier.
La formation de responsable de chantier de brûlage dirigé, associée à une pratique régulière de cette activité, sera néces- saire pour appréhender ensuite une for- mation complémentaire aux feux tac- tiques.
L’usage du feu dans le cadre préventif par le brûlage dirigé, constitue en effet une excellente école du feu, permettant au personnel d’acquérir un savoir faire dans l’allumage et la maîtrise d’un feu, et ce dans des limites géographiques définies à l’avance.
Elle permet également de mieux perce- voir les paramètres influant sur la pro- pagation des incendies, c’est-à-dire la vi- tesse du vent, la température de l’air, l’hygrométrie de l’air, l’état de déshy- dratation de la végétation...
Le brûlage dirigé sera donc un préalable incontournable aux futures formations feux tactiques dont les bases sont en cours de préparation.

L’expérimentation
Dans un cadre expérimental, afin de pré- parer les futures formations et d’acqué- rir des données physiques de feux tac- tiques, des essais comparatifs à échelle réel- le ont été menés sur le terrain dans le secteur du Vigan au mois d’avril 2004. Ceux-ci ont été réalisés conjointement par les sapeurs-pompiers du Gard et le Ceren, sur deux parcelles de terrain si- milaires dans des conditions météorolo- giques identiques: expositions sud-est, surface unitaire de 3 000 m2, végétation de genets purgatifs, piste en partie haute, coupe-feux préparés sur les côtés et en bas de la parcelle.
La première parcelle a été traitée par un contre-feu allumé à l’appui de la piste, de- vant un feu montant, allumé en partie basse de la parcelle.
Des thermocouples étaient installés le long de la piste pour mesurer les tem- pératures subies par les personnels à l’al- lumage.
Le contre-feu allumé sur 60 m de longueur s’est élargi d’une dizaine de mètres avant de rejoindre l’incendie, provoquant une inflammation importante puis l’extinc- tion des foyers.
Le personnel travaillait à des températures acceptables en tenue de feu (maximum de 60°C) et l’utilisation de l’eau a été très faible, quelques centaines de litres seu- lement ont été utilisées pour diminuer
l’intensité du contre-feu et éviter les sautes. Dans la 2e parcelle, l’allumage débutait en partie basse. Face au feu montant en propagation libre, il était impossible et extrêmement dangereux de positionner du personnel le long de la même piste, tant le rayonnement était fort (tempé- rature supérieure à 250°C).
Une veste de cuir, installée pour test à 8 m de la végétation au delà de la piste a bien résisté au premier essai et s’est totale- ment consumée au cours du 2e essai. Les premiers résultats démontrent dans ce cas de figure, l’intérêt du contre-feu pour stopper l’incendie au lieu de l’attendre. Des résultats plus complets seront communi- qués et publiés ultérieurement par le Ceren.

Les effets sur le personnel
Aux côtés de résultats physiques, en condi- tion opérationnelle, une action de feu tactique peut engendrer des effets psy- chologiques favorables au personnel, gé- nérant un sentiment de confiance à la place de l’inquiétude, voire de l’angoisse. Le commandant N. Coste, commandant des opérations de secours, témoigne :
« Le samedi 9 août 2003 à Aumessas à 3 h 51, le dispositif de lutte composé d’un groupe d’intervention feux de forêt qui vient d’échouer à une attaque directe en contrebas, est repositionné en haut de pente sur une piste.
«La crainte se lit sur les visages, l’in- cendie violent progresse vers le haut, en direction de la piste dans des genêts pur- gatifs et des résineux.
« Les flammes atteignent une dizaine de mètres de hauteur. « Il n’est pas pensable de rester à cette position à attendre le feu. Celui-ci, trop violent, dépassera de loin les possibilités hydrauliques des engins. Dans une telle la situation, en tant que commandant des opérations de secours, je prends la décision d’allumer un contre-feu.
« Deux personnels allument à la torche
le long de la piste, le groupe d’interven- tion feux de forêts assure la protection et l’avancement de l’allumage ainsi que la surveillance des sautes.
« Dès lors, les personnels s’activent, prennent confiance devant un feu allu- mé tout près, mais qui s’éloigne d’eux en direction de l’incendie.
Il faut faire vite, pour devancer l’incen- die, mais pas trop pour “tenir” le contre- feu et éviter les sautes. « À 5 h 56 l’allumage parvient 600 m plus loin, le contre-feu est descendu à la ren- contre de l’incendie où les 2 fronts ne font qu’un, pour ensuite s’éteindre. [cf photo de couverture]
« La suite de l’intervention a consisté à traiter les flancs, de façon traditionnelle avec les établissements de grande lon- gueur de tuyaux, à l’eau et avec les moyens aériens dès le lever du jour. »
Les multiples situations rencontrées au cours des feux de forêts montrent la nécessité de disposer de moyens dimen- sionnés, adaptés à la lutte.
Les groupes d’interventions feux de forêts, les groupes lourds, les commandos DIH, les moyens aériens, les divers agents extincteurs : l’eau, les moussants, les retardants, constituent les principaux « ou- tils » de lutte dont dispose le comman- dant des opérations de secours. La parution des feux tactiques dans une loi constitue une avancée très significa- tive dans la lutte contre les feux de forêts. Elle « officialise » une pratique ances- trale que des acteurs de terrain mettent en œuvre depuis des années.
Elle va être rajeunie et organisée, et né- cessite aujourd’hui un cadre d’application bien défini à savoir : – réalisation soumise à l’accord du com- mandant des opérations de secours,
– emploi de personnel obligatoirement formé à ces techniques, – respect de règles de sécurité. C’est dans ce contexte et à ces conditions, que les feux tactiques s’inscrivent pleine- ment dans les méthodes de lutte, non pas en concurrence, mais en complément de celles déjà existantes.

Cdt Nicolas Coste, CSP Le Vigan. SDIS du Gard Animateur du groupe de travail «Feux tactiques» de l’Entente. coste@sdis30.fr

TÉMOIGNAGES
Des témoignages ont été apportés par les chefs de groupe feux de forêts et par les tech- niciens de la forêt présents sur les lieux, engagés sur l’incendie d’Aumessas:
Le capitaine Gilbert Arnal, chef de groupe du GIFF 34 (Herault). Gestion économique du potentiel en eau, éco- nomie du potentiel en matériel et personnel qui travaille en toute sécurité, absence de li- sière active et un risque de reprise diminué.
Bernard Ricau, Garde moniteur du parc na- tional des Cévennes, antenne Aigoual. Là, en compagnie des pompiers alsaciens, j’ai assisté à la mise en œuvre d’un contre- feu, destiné à stopper le front de flammes qui montait vers cette piste. Ce front de feu me semblait alors situé à une centaine de mètres en contrebas de la piste vers laquelle il pro- gressait rapidement.
Sur les consignes du Cdt Coste, deux pom- piers « allumeurs » pourvus du même équi- pement de protection et de mise à feu que j’ai vu employé lors des opérations de brûlages dirigés d’hiver, ont commencé à faire brûler les genêts et broussailles du bord inférieur de la piste (côté du feu montant). D’autres pom- piers sur la piste arrosaient à la lance, dès que les flammes montant trop haut, risquaient de sauter la piste ou de gêner les intervenants. Partis du carrefour entre les pistes n°173 et n°81, les allumeurs se sont dirigés progres- sivement vers l’est, en direction du col des Portes. Le dispositif d’arrosage suivait pa- rallèlement le même mouvement vers l’est. Les premiers genêts brûlés, le feu a pro- gressivement gagné vers le bas, enflammant alors un bosquet de jeunes épicéas d’environ
10 m de haut situé en aval de la piste, pro- voquant des torchères impressionnantes et fu- gaces à chaque arbre enflammé. Le front de flammes montant s’étant rapproché à quelques dizaines de mètres, un courant aérien de convection d’air chaud s’est alors très visiblement formé, aspirant le front de flammes descendant. Les pointes des flammes de deux fronts à plu- sieurs mètres de hauteur étaient orientées en opposition, puis se sont rejointes à une tren- taine de mètres environ en aval de la piste d’où était parti le contre-feu. La progression du feu s’est alors stoppée par opposition des fronts puis par manque de combustible.
André Lacroix et Francis Milhau, ONF, unité territoriale Aigoual. La méthode employée lors de la reprise du 8 août au soir, s’apparente au contre-feu éta- bli pour anticiper sur les événements qui au- raient pu prendre un tour dramatique. Le travail du personnel à pied a permis de contenir les flammes en bas de versant mais il était impossible de lutter face au feu as- cendant. En partie haute, la piste n°81, étroite (3,50 m de chaussée), non débroussaillée, séparait la zone en feu d’une jeune plantation dense (épicéa – pin noir) couvrant le haut du ver- sant. Si l’incendie s’était propagé en amont de cette piste, la lutte aurait été quasiment impossible (pas d’accès pour les véhicules, végétation très dense). La décision a été prise de brûler une bande de végétation le long de la piste n°81 sur en- viron 20 m de largeur et en lisière d’un boi- sement d’épicéa d’environ 40 ans, avant l’ar- rivée du front de feu. L’incendie montant
s’est donc fortement ralenti au contact de cette zone brûlée ; le personnel au sol et les avions porteurs d’eau ont pu ainsi plus faci- lement maîtriser le sinistre.
À notre avis, la méthode employé a été la plus logique et le mieux adaptée et a donné des résultats satisfaisants.
Témoignage du lieutenant-colonel Pierre Schaller– COS sur le feu de la Garde-Frei- net dans le Var, dans la nuit du 31.08.03– dans son livre Ma saison en enfer* ...j’appelle les forestiers installés dans leur PC à côté du nôtre. « Je pense qu’on va pouvoir allumer un contre-feu, qu’en pensez vous ? » Il y a un endroit qui se prête parfaitement bien à ce type de feu tactique, sur le flanc droit sur près de 2 km. Faire brûler toute cette lisière sous notre contrôle, et avant que l’incendie ne la détruise, de façon à ce que, lorsque le feu y arrive, il ne trouve plus rien à se mettre sous la dent et s’arrête.
Alain, le spécialiste des brûlages dirigés, va superviser l’opération avec les forestiers. Le groupe retardant, qui a fini sa mission sur la Tourre où les choses vont mieux, va sécuri- ser l’allumage.
Il ne faudrait pas se faire déborder par le contre-feu, qui deviendrait alors, s’il nous échappait, un nouvel incendie. Et cela marche. Le contre-feu descend len- tement dans une chataigneraie nettoyée et ne déborde pas. Quand le feu principal arri- vera à son contact, quelques heures après, il s’arrêtera de lui-même.
Fireserge33
Modérateur
Modérateur
 
Messages: 1078
Inscription: 13 Jan 2012, 21:36
Nom de famille: LAFARGUE

LE FEU, OUTIL DE GESTION

Nouveau messagede Fireserge33 » 26 Mar 2013, 23:26

Le feu comme outil de prévention pour limiter le risque d’incendie de forêt. Cette idée, quelque peu dérangeante à l’origine, a fait son chemin au cours des dernières décennies pour s’imposer aujourd’hui tant au niveau de la pratique, de son assise institutionnelle que de la connaissance des effets induits sur le milieu.
Outil polyvalent et technique en pleine expansion, le brûlage dirigé est également de plus en plus utilisé dans des applications environnementales.

Le nouveau contexte réglementaire
La loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 a ouvert la possibilité à l’État, aux collectivités territoriales et leurs grou- pements, ou leurs mandataires, tels l’Of- fice national des forêts, les services dé- partementaux d’incendie et de secours (ou des entreprises) de réaliser des brû- lages dirigés, au titre des travaux de pré- vention des incendies de forêts.
Ces dispositions ne sont applicables que dans les zones situées à moins de 200 m des terrains en nature de bois, forêt, landes, garrigues et maquis... situés dans les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon, Corse, Midi-Py- rénées, Aquitaine, Poitou-Charentes, ainsi que dans les départements de l’Ar- dèche et de la Drôme.
Les textes d’application parus récem- ment* précisent plusieurs points qui au- ront de fortes conséquences sur les ac- tivités futures des équipes de brûlage di- rigé :
– Définition du brûlage dirigé
Le décret du 29 avril 2002 indique qu’il est entendu par brûlage dirigé la des- truction par le feu des herbes, brous- sailles, litières, rémanents de coupe, bran- chages, bois morts, sujets d’essence fo-
restière ou autres, lorsqu’ils présentent de façon durable un caractère dominé et dépérissant, dont le maintien est de na- ture à favoriser la propagation des in- cendies ; il précise que cette opération est conduite de façon planifiée et contrô- lée sur un périmètre prédéfini, avec obli- gation de mise en sécurité vis-à-vis des personnes, des biens, des peuplements forestiers et des terrains limitrophes, conformément aux dispositions du ca- hier des charges approuvé par chaque préfet de département.
– Accord et information des pro- priétaires concernés : Les travaux de prévention des incendies comprenant des brûlages dirigés ne peu- vent être réalisés qu’avec l’accord écrit, ou tacite, des propriétaires de terrains concernés (selon les modalités fixées à l’ar- ticle R 321-38 du code forestier).
– Formation
La personne responsable des travaux doit avoir participé à une formation au brû- lage dirigé, dans un établissement figu- rant sur une liste arrêtée conjointement par les ministres de l’Agriculture et de l’In- térieur.
Cet arrêté, du 15 mars 2004 retient le Centre interrégional de formation de la sécurité civile de Gardanne (Bouches- du-Rhône) et le Centre de formation pro-
fessionnelle et de promotion agricole de Bazas (Gironde).
– Autres travaux de brûlage dirigé
Les brûlages dirigés réalisés en dehors des zones visées par le code forestier, ou dans un objectif autre que de prévention des incendies (pastoral, environnemental, cynégétique, sylvicole...) ou par des maîtres d’ouvrage autres que l’État et les collec- tivités territoriales, ne sont pas visés par les nouvelles dispositions.
Ils ne peuvent donc être réalisés qu’en tant qu’ayant droit d’un propriétaire autori- sé à apporter le feu.
Modes opératoires
Le brûlage dirigé est une opération pla- nifiée et ordonnée, qui consiste à condui- re le feu avec un objectif clairement dé- fini, sur tout ou partie d’une surface pré- définie, et en toute sécurité pour les espaces limitrophes.
Les modes opératoires permettent de contrôler la puissance du feu et de maî- triser ses impacts sur les composantes de l’écosystème à préserver (sol, étage arboré).
Cette maîtrise dépend des conditions mé- téorologiques avant et pendant le brû- lage, de la structure et de l’état physio- logique de la végétation (particulière- ment sa teneur en eau), et surtout de la technique de conduite du feu.
Pour conduire le feu, on utilise les effets combinés du vent et de la pente. Les deux techniques les plus employées sont :
• Le “feu à contrevent descendant” (Fig.1, page suivante) L’allumage se fait au point le plus haut, à contrevent, appuyé sur une zone dé- broussaillée ; le feu se développe à la re- cule très lentement (5 à 30 m/h), il est de faible puissance, donc recommandé dans les massifs très combustibles.
• Le “feu par courbes de niveau succes- sives” (Fig. 2, page suivante) L’allumage se fait selon les courbes de ni- veau, le feu se développe en montant, plus rapidement.
Cette technique est utilisable dans des zones où une plus forte puissance est possible (landes et maquis bas).

* Décret n° 2002-679 du 29 avril 2002 relatif à la défense et à la lutte contre l'incendie et modifiant le code forestier. Circulaire DERF/SDF/C2002-3021 du 31 octobre 2002 relative à la protection des forêts contre les incendies : brûlage dirigé et incinération. Arrêté interministériel du 15 mars 2004 relatif à la formation et à la validation des acquis des personnes responsables de travaux de brûlage dirigé et/ou d’in- cinération. Circulaire d’application du 31 août 2004.



Il faut disposer de limites sûres ou les créer (premier brûlage supérieur à la recule). D’autres modes de conduite peuvent être utilisés :
• Le feu au vent montant (Fig. 3) L’allumage se fait en bas de pente ou au vent, et le feu peut être très rapide et puissant. Il faut disposer d’une large bande de sécurité. • Le feu par bosquets ou taches (Fig. 4) L’allumage se fait en suivant le périmètre des bosquets à traiter, et permet de réa- liser un brûlage alvéolaire.
Usages classiques
Le brûlage dirigé est utilisé dans de nom- breux domaines pour remplir des objec- tifs qui se sont diversifiés. Au-delà de ses usages de prédilection, le brûlage dirigé peut être avantageuse- ment associé, dans le temps et dans l’es- pace, à d’autres techniques d’interven- tion afin de parfaire les effets attendus sur le milieu (Valette et al. 1994).
Le brûlage pastoral est l’exemple classique d’une telle association combinant les ef- fets du feu et ceux de la dent du bétail. De manière moins connue, les résidus du broyage mécanique peuvent être inciné- rés afin d’augmenter l‘efficacité des cou- pures de combustible ainsi entretenues.
Objectif DFCI
Les nouvelles dispositions réglemen- taires ne s’appliquent qu’à ce seul ob- jectif. Le brûlage dirigé contribue à faire di- minuer l’intensité potentielle de l’in- cendie en réduisant la charge en com- bustible, notamment les éléments les plus fins dans les strates qui contribuent à la propagation du feu, mais aussi en rompant la continuité horizontale et ver- ticale du complexe de combustible.
Au sein de cet objectif, on distingue la création et l’entretien d’ouvrages de pré- vention des incendies de forêts – par ré- duction du combustible–ou la mise en auto protection de parcelles à forte valeur patrimoniale.
On y compte aussi les travaux de brûla- ge dont l’objectif est de réduire le nombre d’incendies; brûlages à vocation pastorale– pour réduire le nombre d’incendies dus à des écobuages non maîtrisés – ou le brûlage autour de sites à fort risque d’éclo- sion d’incendies comme les décharges par exemple.
Objectif pastoral
L’objectif consiste en une aide aux éleveurs, pour l’ouverture des pâturages em- broussaillés et l’entretien par élimina- tion des refus de pâture.
Le brûlage dirigé s’inscrit dans l’accom- pagnement de la pratique traditionnelle du feu pastoral dont la mise en œuvre est de plus en plus délicate compte tenu de la déprise rurale.
Objectif sylvicole
Les objectifs principaux peuvent être la préparation du sol à la régénération na- turelle, la destruction de rémanents de coupe.
Les brûlages répondant à cet objectif sont encore peu pratiqués en France. Néan- moins, des opérations expérimentales d’« élagage » et de dépressage thermiques ont été menées récemment avec un cer- tain succès dans le massif des Maures dans des régénérations denses de pin ma- ritime (Binggeli, 1997).
Objectif environnemental
On enregistre de plus en plus de de- mandes « environnementales », dont l’ob- jectif est de limiter la fermeture du mi- lieu, pour maintenir une plus grande di- versité floristique et faunistique.
Ainsi, entre autres exemples, une équi- pe de l’Office national des forêts réalise des brûlages pour améliorer l’habitat de l’aigle de Bonelli dont l’un des derniers couples niche dans les falaises du parc naturel régional du Luberon. De maniè- re générale, le brûlage dans les landes de l’arrière pays, pratiqué par taches, re- présente actuellement une des tech- niques, qui garantit à moindre frais, leur richesse zoologique, botanique et pay- sagère.
Quels impacts sur le milieu?
Comme toute intervention sur le milieu naturel, le brûlage dirigé a des effets di- rects et indirects et son bon usage né- cessite d’en connaître les conséquences sur les différents compartiments des éco- systèmes concernés.
De nombreuses études ont été menées sur les effets des brûlages dirigés durant les deux dernières décennies et se pour-
suivent actuellement. Les effets sur le mi- lieu ne doivent pas seulement être ap- préhendés à l’issue d’une intervention unique et sur le court terme. Les re- cherches s’orientent actuellement vers les suivis sur le long terme des impacts des séquences techniques dans lesquelles le brû- lage dirigé est plus ou moins prépondérant. Quand le brûlage dirigé est l’intervention clé de la séquence technique, différentes modalités de régimes de feu peuvent être étudiées et comparées. La saison, la di- mension du chantier, la fréquence d’in- tervention, la puissance du feu sont autant de paramètres qui définissent le régime du feu et qui régissent les impacts à moyen et long termes sur le milieu.
Il ressort de ces études que, d’une manière générale, les impacts du brûlage dirigé sur la végétation modifient peu la composi- tion spécifique tant les écosystèmes mé- diterranéens concernés ont souvent été soumis aux perturbations anthropiques et notamment au feu. Ainsi la régénéra- tion par rejet constitue une évidente adaptation des espèces ligneuses au feu. En revanche la dominance entre espèces peut changer après brûlage dirigé, au moins temporairement, ou plus dura- blement selon les régimes de feu et la sensibilité des milieux (landes d’altitu- de). L’ouverture du milieu par le brûla- ge favorise temporairement les espèces colonisatrices ce qui peut induire un pic de la diversité floristique pendant quelques années, comme on le note aussi après incendie. Les espèces se régénérant par graines comme certains cistes peuvent être favorisées lorsque l’échauffement lève la dormance des graines accumulées dans les couches superficielles du sol. La puis- sance du feu est alors un facteur pré- pondérant dans la dynamique de re- constitution post-traitement.

De manière générale, parmi les compo- santes du régime de feu, la puissance du brûlage est un paramètre fondamental pour en évaluer les conséquences sur le milieu. Ainsi, Gillon (1990) montre que lors de brûlages d’entretien, l’élévation de température dans le sol est très faible, bien que les températures de surface soient d’environ 400 à 500 °C. Lors de certains brûlages d’ouverture, dans des milieux où la phytomasse arbustive est beaucoup plus élevée (10 à 20 t/ha), les tempéra- tures de surface peuvent atteindre 900°C et l’onde de température à 5 cm de pro- fondeur dans le sol est de l’ordre de 100°C. D’autres études montrent l’importance de ne pas totalement consommer la li- tière fragmentée ou l’humus en choisis- sant des conditions de brûlage où ces ho- rizons sont humides afin de préserver les couches superficielles du sol. Quoiqu’il en soit, les impacts de l’échauffement sur les composantes physiques, chimiques et biologiques du sol ne doivent pas être né- gligés et les délais de cicatrisation sont d’au- tant plus longs que le feu est puissant. En Provence calcaire, le plus vieux dispositif en Europe de suivi des effets de brûlages dirigés périodiques avec sept interven- tions depuis 1984 montre l’innocuité des traitements sur la strate arborée en pin d’Alep et la sensibilité des espèces à écor- ce fine comme le chêne vert. Quant à la rémanence du traitement sur les strates basses dominées par le chêne kermès et le brachypode rameux, les dispositifs dans ce type de milieu ont montré que le brû- lage dirigé permettait de contenir l’em- broussaillement en deçà du seuil de 2500 m3/ha pendant 3 à 4 ans.
Dans les zones pastorales de moyenne al- titude de l’arrière pays méditerranéen, de nombreuses études ont été menées ces dernières années pour mieux com- prendre les effets environnementaux de brûlages dirigés périodiques combinés au pâturage. Ces études visaient aussi à comparer l'impact de cette séquence tech- nique à celui de l'incendie et de la non in- tervention avec l'abandon des espaces dé- laissés par l'agriculture. Les traitements ont été comparés au moyen d'indicateurs caractérisant le risque d'incendie, la di- versité floristique, la qualité pastorale du milieu et protection des sols. Le niveau des indicateurs suivis oppose nettement la perturbation incendie à la séquence d'interventions techniques proposées. La combinaison de brûlages dirigés pério- diques et du pâturage diminue significa- tivement le risque d'incendie sans expo- ser le sol aux risques d'érosion, et amé- liore le fonds pastoral ainsi que la diver- sité floristique (Rigolot et al. 2002).
Des études associées prennent en comp- te l’impact de ces séquences techniques sur les communautés animales (notam- ment sur les oiseaux) dont la composi-
tion en espèces et la densité évoluent en fonction des changements de la végéta- tion qui les abrite (Pons, 1999). Ces tra- vaux débouchent sur des recommandations de gestion associant brûlages périodiques et pâturage pour maintenir et créer des espaces ouverts, qui abritent de nom- breuses espèces rares ou menacées en France

Conclusion
Pour constituer une technique d’inter- vention efficace, le brûlage dirigé doit avoir des effets significatifs en fonction des objectifs recherchés tout en minimi- sant les conséquences indésirables.
Les relations entre modes opératoires, conditions stationnelles et conditions micro-climatiques qui précèdent et ac- compagnent l’opération, permettent de se rapprocher au mieux des effets atten- dus à court et moyen terme. La phase préalable d’analyse, de concertation avec les partenaires et de prescription est fon- damentale, afin de bien préciser les objectifs et les contraintes liés à chaque opération. Ainsi la mortalité des arbres peut être in- désirable sur certains chantiers et au contraire recherchée sur d’autres. Dans les deux cas, comme on l’a vu, les modes
opératoires adaptés peuvent être définis. Le caractère programmé de l’opération de brûlage dirigé et la finesse de l’outil, quand il est bien maîtrisé, font que le débat se pose davantage en termes d’ob- jectifs et de contraintes qu’en termes d’ef- fets positifs ou négatifs. Quoi qu’il en soit, des recherches sont encore nécessaires pour déterminer les régimes de feu qui sa- tisfassent à la fois aux exigences sociales et écologiques.

Eric Rigolot, INRA, UR recherches forestières méditerranéennes, Avignon rigolot@avignon.inra.fr Yvon Duché, ONF
direction territoriale méditerranée yvon.duche@onf.fr


Cet article est une version légèrement remaniée de celui qui est paru dans le nu- méro 4 des « rendez-vous techniques » de l’ONF.
Les références bibliographiques et ar- ticles complémentaires sont consultables en ligne sur le site du centre de docu- mentation du Cemagref dans la partie dédiée à « Infos DFCI »

HISTORIQUE
Le feu comme outil de gestion
Cette idée n’est pourtant pas récente puisque la première loi d’aménage- ment des forêts contre l’incendie, des 6 juillet et 3 août 1870, relative aux mesures à prendre contre les incendies dans la région des Maures et de l’Es- terel, stipulait en particulier, « qu’en dehors des périodes d’interdiction (fixées par le préfet), l’emploi du petit feu pour le nettoiement des bois, fo- rêts et landes peuplées de morts-bois, qui sont séparées par des tranchées de protection est autorisé... sous la réserve, en cas d’incendie produit par ledit feu, des peines portées au Code pénal ».
La loi ne faisait que concrétiser l’usage traditionnel du feu par les forestiers et les éleveurs pour réduire à faible coût la végétation sur pied ou coupée. Mais le texte, par les réserves émises immédiatement après l’autorisation, met- tait aussi en évidence que cette technique, encore qualifiée d’écobuage, pou- vait aussi dégénérer en incendie de forêt si son auteur manquait de pratique ou si les conditions climatiques variaient brusquement en cours de jour- née.
De ce fait, cette disposition n’a pas été reprise par les textes postérieurs, et l’emploi du feu a été réservé aux propriétaires de terrains et à leurs ayants- droit. Dans le même temps, la déprise agricole et l’exode rural ont conduit no- tamment à une modification de la pratique du feu, et à un embroussaille- ment des terres cultivées et des pâturages.
L’embroussaillement a pour conséquences immédiates un appauvrissement de la diversité biologique des milieux ouverts, mais aussi, en région médi- terranéenne, une augmentation des risques d’incendies de forêt. Ces risques sont d’autant plus marqués que le savoir-faire des populations rurales dans l’emploi du feu a fortement régressé, transformant une pra- tique organisée et généralement collective en un acte individuel le plus sou- vent dissimulé.
Fireserge33
Modérateur
Modérateur
 
Messages: 1078
Inscription: 13 Jan 2012, 21:36
Nom de famille: LAFARGUE

LES PARCOURS DU FEU

Nouveau messagede Fireserge33 » 26 Mar 2013, 23:36

http://www.irstea.fr/sites/default/file ... FCI-53.pdf

Dans sa thèse, Nadine Ribet présente les savoirs et les savoir-faire mis en œuvre par les éleveurs et les bergers qui emploient le feu pour nourrir leurs troupeaux et gérer l’espace. Ces usages, qui se caractérisent par une certaine clandestinité requiè- rent une véritable compétence, acquise de manière empirique où l’ex- périence est fondamentale. C’est un des points communs avec la pra- tique du feu tactique – notamment du contre-feu – mais aussi du brû- lage dirigé.
Il nous a semblé intéressant de clore ce numéro consacré aux usages du feu avec les résultats de ses travaux de recherche en anthropologie.*

«Les parcours du feu désignent à la fois les espaces parcourus par le bétail et par le feu, mais aussi le parcours du feu comme objet de recherche. Au cœur de cette thèse, il est question de caractériser technique- ment et socialement les savoirs mobilisés dans l’emploi du feu pour la gestion de l’es- pace. Dans l’ombre du brûlage dirigé, ré- cente réhabilitation institutionnelle du feu, subsiste et se renouvelle une pratique tra- ditionnelle mal connue et largement en perte de références donc de validité et de légitimité. Or, une approche fondamenta- le des savoirs auprès d’éleveurs et de ber- gers dans le territoire du Parc naturel ré- gional des Volcans d'Auvergne puis dans les Pyrénées centrales, révèle de véritables compétences à réaliser des brûlages, no- tamment à vocation pastorale mais aux ef- fets et enjeux multiples : paysager, envi- ronnemental, prévention incendie, etc.
« Ces savoirs du feu sont familiers, banals, empiriques et d’ordre domestique. Deux notions importantes les caractérisent : la “désobéissance adroite” et le “principe d’éco- nomie”.

La “désobéissance adroite”
« Pour acquérir la maîtrise du feu, les éle- veurs se trouvent pris dans un mode de so- cialisation: la “désobéissance adroite”. « En effet, le climat social comme le cadre réglementaire forcent les savoirs du feu à s’effectuer et à s’expérimenter clandesti- nement, de sorte que les bons brûleurs enfreignent la norme ou la loi dans l’excellence de leur maîtrise, seule garante d’efficacité, de notoriété et de sécurité. Situation pa- radoxale : “Personne n’est contre le feu, c’est la loi qui est contre”, exprime perti- nemment un éleveur de chevaux, écobueur de pâturages dans les monts du Cantal. Aussi, “il y a un sens, dit Bachelard, à étu- dier le dynamisme de désobéissance qui anime tout savoir”. Des savoirs gouvernés par la loi du terrain parfois contre les textes de loi, des savoirs d’expérience qui dictent de déborder la loi pour ne pas être débor- dés par le feu.

Les parcours du feu
Dans sa thèse, Nadine Ribet présente les savoirs et les savoir-faire mis en œuvre par les éleveurs et les bergers qui emploient le feu pour nourrir leurs troupeaux et gérer l’espace. Ces usages, qui se caractérisent par une certaine clandestinité requiè- rent une véritable compétence, acquise de manière empirique où l’ex- périence est fondamentale. C’est un des points communs avec la pra- tique du feu tactique – notamment du contre-feu – mais aussi du brû- lage dirigé.
Il nous a semblé intéressant de clore ce numéro consacré aux usages du feu avec les résultats de ses travaux de recherche en anthropologie.*
conforté par l’expertise d’un chef de corps à propos de la gestion des incendies en montagne. “En montagne on ne traite ja- mais tout le feu. On laisse des zones en feu, qui brûlent au milieu. On ne peut pas engager du personnel pour aller éteindre une petite zone au milieu. Il reste obliga- toirement des zones en feu.” Ce qui peut apparaître comme un handicap naturel (absence d’eau sur des secteurs) ou une indigence de moyens (défaut d’équipement nécessaire à son acheminement), n’est autre qu’une culture du feu où l’eau n’a pas sa place. S’il s’agit bien de faire le plus souvent avec les moyens du bord, cette cul- ture sèche consiste plus fondamentale- ment en une pragmatique qui oppose au feu la logique du feu. Cette logique consis- te à ne pas créer, avec l’apport d’eau, des limites artificielles au feu, mais à rester vi- gilant, à saisir les moments opportuns, à favoriser une relative proximité du feu en le gardant si possible à échelle humaine. Si ces savoirs et ces techniques sont pauvres en culture matérielle, ils sont largement pour- vus et compensés par des techniques du corps, une familiarité, ou encore une ex- périence des lieux et du feu. C’est l’inter- vention du corps humain, son action mo- trice dans le temps du processus, mais aussi la mise en œuvre d’une “mémoire-savoir” qui en assurent la maîtrise. Ainsi, le corps dans son entier sert d’instrument de me- sure et d’expertise. »

Un “principe d’économie”
«La culture du feu dont il s’agit est assimilée à une éthologie du feu. Connaître le com- portement du feu, se familiariser avec lui pour mieux l’apprivoiser, le domestiquer. “Donner le biais” au feu c’est, comme pour un troupeau, obtenir qu’il aille selon une direction et un objectif visés; c’est bien garder et diriger, en avoir la maîtrise. Pour ce faire, l’allumage est tellement détermi- nant que maîtriser un feu c’est d’abord sa- voir l’allumer.
«Dire cela donne à mesurer l’opposition radicale avec la culture d’incendie des sa- peurs-pompiers, culture d’extinction pour- vue en outils et engins comme en hommes, et fondée sur l’abondant emploi de l’eau. Si l’introduction par les acteurs institution- nels de matériel spécialisé (torche, battes, seau-pompe) contribue à hisser l’usage du feu au rang de techniques licites, seuls cer- tains outils sont adoptés par les brûleurs tra- ditionnels. La torche, outil spécialisé, consti- tue un outil adapté qui s’intègre parfaite- ment dans la culture technique des éle- veurs fondée sur l’allumage ; technique très peu outillée au demeurant, et surtout une culture sèche du feu.
« La culture sèche du feu est une technique dans laquelle prévalent l’allumage, la condui- te et le contrôle,. Ces dispositions rejettent en arrière-plan la question de l’extinction. “On l’allume de façon à ce qu’il s’éteigne tout seul. Pour nous, le but c’est ça. On sait quelle quantité on veut faire brûler et on s’organise en fonction.” Le principe technique de cet éleveur pyrénéen semble conforté par l’expertise d’un chef de corps à propos de la gestion des incendies en montagne. “En montagne on ne traite ja- mais tout le feu. On laisse des zones en feu, qui brûlent au milieu. On ne peut pas engager du personnel pour aller éteindre une petite zone au milieu. Il reste obliga- toirement des zones en feu.” Ce qui peut apparaître comme un handicap naturel (absence d’eau sur des secteurs) ou une indigence de moyens (défaut d’équipement nécessaire à son acheminement), n’est autre qu’une culture du feu où l’eau n’a pas sa place. S’il s’agit bien de faire le plus souvent avec les moyens du bord, cette cul- ture sèche consiste plus fondamentale- ment en une pragmatique qui oppose au feu la logique du feu. Cette logique consis- te à ne pas créer, avec l’apport d’eau, des limites artificielles au feu, mais à rester vi- gilant, à saisir les moments opportuns, à favoriser une relative proximité du feu en le gardant si possible à échelle humaine. Si ces savoirs et ces techniques sont pauvres en culture matérielle, ils sont largement pour- vus et compensés par des techniques du corps, une familiarité, ou encore une ex- périence des lieux et du feu. C’est l’inter- vention du corps humain, son action mo- trice dans le temps du processus, mais aussi la mise en œuvre d’une “mémoire-savoir” qui en assurent la maîtrise. Ainsi, le corps dans son entier sert d’instrument de me- sure et d’expertise. »

Nadine Ribet Les parcours du feu. Modes d’appropriation de la nature à travers le statut et les usages du feu.


*Thèse en anthropologie (EHESS-Paris), dis- ponible au 4e trimestre 2004.
Fireserge33
Modérateur
Modérateur
 
Messages: 1078
Inscription: 13 Jan 2012, 21:36
Nom de famille: LAFARGUE


Retourner vers Prévention :

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 6 invités

z cron