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Les fuites de gaz enflammées
© Marc Le Guélaff et Ronan Vinay
Les interventions liées au gaz naturel sont particulièrement dangereuses et ont coûté la vie à de nombreux sapeurs-pompiers. Parfois complexes, il est important de ne pas les négliger, même lorsqu’elles sont enflammées.
Le gaz naturel est un combustible très utilisé de nos jours. Son réseau de distribution s’allonge un peu plus, et aujourd’hui, il existe plus de 190 000 km de conduites sur le territoire français, qui s’étendent en même temps que les zones urbaines. Pour Gaz réseau Distribution France (GrDF), que beaucoup continuent à appeler « GDF », l’objectif sécurité est orienté vers plusieurs points : la modernisation du réseau de distribution existant, la maintenance et le dépannage du réseau, la surveillance de ce dernier, ainsi que la formation et l’information des professionnels du gaz et des entreprises de travaux publics. Malgré ces objectifs et les moyens mis en œuvre, chaque jour, des incidents viennent émailler la vie de ce réseau de distribution : des conduites anciennes qui se mettent à fuir, un coup de godet malheureux d’une pelleteuse lors de travaux de mise en place d’un nouveau réseau, ou encore une méconnaissance des réseaux anciens, ainsi que des dégradations volontaires qui nécessitent l’intervention des services de secours. Si la fuite de gaz non enflammée est déjà un problème en soi, la fuite de gaz enflammée, qui pourrait proportionnellement sembler moins risquée, ne doit surtout pas être négligée, au même titre que tous les autres types d’intervention. L’origine d’une fuite de gaz enflammée peut être de différents types, comme un feu de poubelle, volontaire ou involontaire sur voie publique, accolée à la façade de l’immeuble ou contre le muret d’enceinte d’une habitation, et qui se propage au coffret gaz. Cela peut aussi provenir d’un véhicule qui, accidentellement, vient percuter un bâtiment au niveau du coffret de distribution, ou encore lors d’un incendie, où la canalisation de distribution, sous l’effet de la chaleur, se détériore et fond au contact du flux thermique dégagé par le feu. La fuite de gaz enflammée peut alors se trouver à la cave, dans une cage d’escalier, ou encore dans la cuisine d’un appartement.
La marche générale des opérations
Pour le premier Cos, bien évidemment, la « marche générale des opérations » doit être respectée, et lors de sa reconnaissance, la recherche primaire des organes de coupure du gaz à proximité de la fuite est importante, car un barrage rapide peut limiter le risque de propagation. En ce qui concerne la conduite à tenir face à cette situation instable et très dynamique, il existe souvent plusieurs solutions, ce qui permet au premier Cos d’adapter son idée de manœuvre, soit par une attaque offensive ou défensive. Mais la difficulté résidera aussi dans le fait que la fuite de gaz enflammée n’est pas toujours visible lors de la première reconnaissance. Ainsi, une fuite en façade d’un pavillon, pouvant être clairement visualisée par des témoins, génèrera la mise en place, par exemple, d’une procédure dite de « gaz renforcé », PGR (voir encadré), mais il n’en sera pas toujours de même pour celle qui se trouvera dans une cuisine au troisième étage.
L’idée de manœuvre, pour laquelle on optera dans les premiers instants, dépendra donc surtout de la localisation de la fuite, mais aussi des risques dus à sa propagation, de la localisation du robinet d’arrêt, de son accessibilité, de son état de fonctionnement, et des délais d’intervention des agents de Gaz réseau distribution de France, seul autorisés à barrer le gaz sur l’ensemble de leur réseau.
Mais avant toute action, et pour éviter les risques induits, il faut déjà pouvoir et savoir reconnaître la typologie d’une flamme provenant d’une fuite de gaz. À ce titre, une parfaite maîtrise des domaines d’inflammabilité et d’explosivité est requise. Et cela ne se limite pas à la connaissance d’une plage, mais c’est également connaître les différents types de combustion. Tant que la fuite se situe en extérieur, c’est-à -dire riche en oxygène, elle sera bien visible et présentera des couleurs de flammes très jaunes et bien éclairantes. De plus, la fuite est souvent audible, car bien souvent, elle se situe avant le compteur. Le gaz provient donc alors du réseau moyenne pression. Une connaissance préalable des réseaux de distribution est importante, afin de pouvoir rapidement identifier le type d’installation auquel on a affaire, et déterminer la pression. Tous ces éléments permettent d’éviter la confusion avec une autre combustion. Le risque le plus élevé se rencontre lors de l’attaque à l’intérieur des volumes, qui sont eux-mêmes enfumés ou totalement embrasés. Dans ces conditions, il est difficile de distinguer une flamme issue d’une fuite de gaz de celle émanant de la pyrolyse des matériaux. Lorsque la fuite enflammée se situe après le compteur, la pression est basse, et le sifflement caractéristique du débit de fuite est plus difficile à percevoir. Pour un binôme en progression, sous appareil respiratoire isolant, il sera parfois laborieux d’identifier le son, tant les perturbations sensorielles sont importantes. Il n’est donc pas rare de voir des équipages bloqués dans leur progression par un flux thermique important, et ne réaliser que plus tard que ce qui empêchait la progression était en fait un tuyau de gaz arraché dans une cage d’escalier, et qui barrait le passage. Par ailleurs, l’appauvrissement en comburant va occasionner un changement de couleur des flammes, qui seront alors plus sombres et ressembleront plus aux autres flammes environnantes. Vers la source, on pourra parfois les reconnaitre par la présence d’une flamme plus bleue, mais cela reste difficile. Une fois la fuite de gaz enflammée reconnue, il ne faut jamais souffler la flamme. En effet, si tel était le cas, on rentrerait alors immédiatement dans la problématique d’une fuite de gaz, avec tous les nouveaux risques que cela générerait. La présence de gaz, non encore enflammé, alliée à la présence de braises, jouant le rôle de l’énergie d’activation, aurait pour conséquence une explosion avec les effets dévastateurs et dramatiques que l’on connaît, en présence des soldats du feu pris au piège, au plus près du risque. Une fuite de gaz enflammée doit donc être uniquement stoppée par la coupure en alimentation du combustible. En conséquence, tant que le gaz n’est pas barré, on doit limiter la propagation en mettant en œuvre un moyen hydraulique dont le débit doit être parfaitement adapté à la situation. Ceux ou ces moyens doivent permettre à la fois de protéger les parties menacées (façade, véhicule, escalier, couloir, pièce) et s’il y a lieu, permettre de lutter contre l’incendie. La difficulté pour les porte-lance résidera alors dans le fait de limiter la propagation, sans toucher à la fuite enflammée. Une reconnaissance approfondie doit donc être menée, afin de s’assurer qu’une rétention d’eau par exemple, ou autre problème, ne risque pas de venir chasser la flamme. Un contact constant entre les équipes d’attaque et le commandement sont nécessaires afin que l’évolution de la coupure des fluides soit bien relayée et en corrélation avec les actions menées, ceci afin de toujours s’assurer que l’on ne souffle pas la flamme, suite à une mauvaise transmission d’informations, alors que du gaz est toujours en cours d’alimentation du réseau. Il faut garder à l’esprit que la recherche de la vanne de barrage peut parfois prendre du temps. Il arrive par exemple, que la vanne soit inaccessible, car un véhicule est garé dessus, ou que du fait de l’âge du réseau, les agents de l’exploitant aient du mal à localiser les organes de coupure, qui parfois se trouvent sous plusieurs centimètres de bitume, suite à des travaux. Ces informations sont importantes à remonter aux binômes d’attaque, afin qu’ils adaptent leur méthode en fonction du temps qui pourra être nécessaire pour passer d’une fuite de gaz enflammé à un incendie plus conventionnel, si tant est qu’il y en ait ! Enfin, il faut garder à l’esprit que malgré la réglementation actuelle, l’utilisation de bouteille de gaz dans les immeubles d’habitation est régulière. Par souci d’économies, de plus en plus de familles cuisinent ou assurent le chauffage avec des bouteilles de propane ou de butane, équipées de panneaux radiants, sans oublier les terrasses de restaurants chauffées pour l’hiver (voir SFM 27 « août 08 »). Pour pouvoir se préparer au mieux à ce type de risque, il est donc important de se former. Disposer d’un plateau technique permettant de récréer des situations opérationnelles tangibles et réalistes est un gage de sécurité pour les équipes de secours. Ces plateaux doivent également apporter la possibilité aux sapeurs-pompiers et aux spécialistes de réseaux de distribution de pouvoir travailler de concert et confronter leurs expériences réciproques afin d’être plus pertinents et sécuritaires en intervention. Ainsi, cet outil permettrait aux sapeurs-pompiers, tous grades confondus, lors de formation initiale ou avancement de grade, de ne pas avoir à découvrir une fuite de gaz enflammée pour la première fois en intervention, sans oublier que le chef d’agrès, qui normalement est le plus expérimenté, n’est pas toujours au contact du feu pour diriger le binôme d’attaque, quelquefois jeune d’expérience.
© Marc Le Guélaff et Ronan Vinay