Des incendies plus graves, plus nombreux et de plus en plus au nord: les pompiers se préparent à affronter les conséquences catastrophiques que pourraient avoir les changements climatiques en France dans un avenir proche. Sur le terrain, ils observent déjà une modification de la végétation
Crée en juin dernier, le nouveau think tank de la sécurité civile, l’Ifrasec, a publié dès les premiers jours de son existence sa première étude, consacrée à la coopération européenne en matière de lutte contre les feux de forêts, élaborée par « L’Entente pour la forêt méditerranéenne ». Signe que l’inquiétude ne cesse de monter chez les pompiers, les conséquences des « changements climatiques » y sont largement évoquées en filigrane.
Leur impact sur la végétation méditerranéenne peut déjà s’observer: « dépérissement de certaines essences, remontée altitudinale d’espèces et diminution de la pousse et de la taille des rameaux et aiguilles pour les résineux ».
Loin du littoral méditerranéen, « dans l’Ardèche et la Drôme, on voit pousser de plus en plus de pins d’Alep et de chênes kermesse, mieux adaptés aux températures plus chaudes et aux sols pauvres en eau », explique le colonel Robert Bardo, directeur général de l’Entente pour la forêt méditerranéenne. « Cette végétation à forte teneur en résine, plus propice aux incendies, on la voyait déjà , mais il y en a de plus en plus ».
Evolution du risque d’incendie - D’autres départements comme « l’Aveyron, le Tarn, l’Ariège commencent à s’intéresser à la lutte contre les incendies », dit M. Bardo, et « c’est nouveau ». Si ces changements de végétation se confirment, la « fréquence » et la « gravité » de ces incendies « devraient s’accentuer », prévient l’étude, même si pour l’instant, « on ne peut pas encore constater de véritables corrélations dans l’évolution des feux ».
Est-ce la conséquence des changements climatiques ? En tous cas « la part de la région méditerranéenne » dans le bilan des surfaces incendiées en France « tend depuis plusieurs années à diminuer » par rapport au Sud-Ouest, notamment au massif forestier landais et aux Pyrénées, notait ainsi la sécurité civile dans son dossier sur le dispositif de lutte contre les incendies pour l’été 2013. De fait, les incendies éclatent de plus en plus en dehors de la région méditerranéenne.
« Feux catastrophes » - « Avec le réchauffement climatique, la température et la sécheresse augmentent et l’humidité dans l’air diminue », constate Philippe Michaut, expert en feux de forêt à la Direction générale de la sécurité civile. D’où un risque d’incendies accru.
Pour évaluer ce risque, météorologues et pompiers s’appuient sur plusieurs indicateurs, dont l’IFM (indice forêt météo), qui croise plusieurs données. « Température, humidité de l’air, vent et précipitations nous permettent de déterminer l’état de l’inflammabilité de la végétation », explique Mathieu Regimbeau, ingénieur à météo France. Quand l’IFM est très élevé, les pompiers sont déployés sur le terrain « au cas où » et une partie des 23 bombardiers d’eau français font le guet dans les airs.
La norme… de l’été 2003 - Or, année après année, l’IFM moyen augmente: +18% entre la période 1961-1980 et la période 1989-2008. « A l’horizon 2040″, il « devrait progresser de 30% », prévoit Météo France. « Jusqu’à +75% d’ici 2060″ dans certaines simulations. « À cette échéance, une année comme 2003 deviendrait ainsi la norme en termes de risque de feux de forêt », assurent les météorologues. 2003, avec son été de canicule, est une année record depuis 25 ans, avec 73.000 hectares brûlés, 10 morts et des centaines de blessés.
Ces dernières années, le nombre et l’importance des incendies ont eu plutôt tendance à diminuer en France, du fait d’une meilleure organisation des pompiers, d’une prévention améliorée et d’une prise en charge plus rapide des départs de feu, grâce notamment aux téléphones portables. Mais l’Ifrasec estime néanmoins que « des feux catastrophes sont à craindre ».
« Vivre avec le feu » - Face à l’augmentation du risque, il faudra « apprendre à vivre avec le feu », explique son étude. Il faudra aussi davantage de moyens. Plus de bombardiers d’eau. « Une augmentation de 30 % des surfaces sensibles se traduira par une augmentation des coûts d’au moins 20 % d’ici 2040 (en euro constant) », prévoit le colonel Bardo. Il faudra aussi plus de coopération internationale.
La France est loin d’être le seul pays dont les forêts sont confrontées à ce défi climatique. Exemple cité par M. Bardo, la Slovaquie, qui jouxte l’Autriche, connaît de plus en plus de feux. Elle s’équipe et forme ses cadres en conséquence.